La
momie par Madame Annie PERRAUD
Maître en égyptologie
D.E.A "Civilisation de l'Antiquité et du Moyen-Âge, Option
Études Orientales".
Actuellement Docteur en
égyptologie |
LA
MOMIE ÉGYPTIENNE DU MUSEUM D’HISTOIRE NATURELLE DE PERPIGNAN
Le
muséum d’Histoire naturelle de Perpignan possède dans ses
collections une momie humaine égyptienne dont on ignore avec certitude
la provenance et la datation.
La momie et le cercueil ont été donnés en 1847 par Ibrahim Pacha. Les
circonstances dans lesquelles cette momie est parvenue à Perpignan,
sont les suivantes:
lbrahim
Pacha, né en 1789, était le fils de Méhémet Ali, vice-roi d’Égypte.
Lorsqu’il ressentit les premières atteintes de la maladie, qui
devait causer sa mort, à l’âge de 56 ans, il vint en France,
afin d’y être soigné. Après avoir subi une intervention
chirurgicale, il fut confié à Claude-François Lallemand, médecin
à Montpellier. Celui-ci lui conseilla les eaux thermales de
Vernet-les-Bains où il séjourna de janvier à février 1846. Dès
son retour en Égypte, lbrahim Pacha fit envoyer une momie à
Perpignan, en remerciement pour l’accueil qui lui avait été réservé
et pour les soins reçus.
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Le
27 février 1847, Louis Companyo, directeur et fondateur du muséum
d’Histoire naturelle de Perpignan, recevait une lettre de Monsieur
Bonfort, intendant de S. A. Ibrahim Pacha, envoyée du Caire,
indiquant : « Je viens aujourd’hui vous prévenir que Son
Altesse lbrahim Pacha a destiné une momie pour le muséum d’Histoire
Naturelle de Perpignan et que je viens d’expédier la caisse au
Consul général de France à Alexandrie pour l’expédier par les
paquebots de l’État à Marseille. Veuillez la réclamer et
l’offrir au musée, au nom du prince.»1
Contrairement aux momies étudiées sur leur lieu de sépulture, les
momies exposées dans les musées sont souvent de provenance
inconnue et de datation incertaine. Leur identification pose, de
plus, de nombreuses interrogations aux équipes chargées de les étudier.
Dans le cas de la momie du muséum d’Histoire naturelle de
Perpignan, le musée ne dispose d’aucun document pouvant donner
une indication du lieu d’origine. Le don de la momie au musée
n’a fait l’objet d’aucun inventaire, comme c’est le cas pour
la plupart des momies ayant quitté l’Égypte au cours du XlXe
siècle.
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LA
MOMIE |
La
momie, entièrement emmaillotée de lin, est exposée, sous un
habitacle de protection, en position allongée, à l’intérieur de
la cuve de son cercueil anthropomorphe. Seuls, le visage et le
sommet du crâne sont découverts. Aucun document ne permet de préciser
à quelle époque ont été enlevées les bandelettes recouvrant le
visage. Sa taille est de 1m54.
Après avoir subi une déshydratation par le natron, le corps a été
préparé de façon rituelle : dépôt du linge ayant servi à éponger
les parois de la cavité thoraco-abdominale à l’intérieur de
celle-ci, application de résine au cours des différents
enroulements, bandelettage soigneux des différentes parties du
corps. Pour une raison inconnue, la résine n’est pas versée dans
les cavités.
La momie est, actuellement, réduite à l’état de squelette, seul
le visage comporte encore des traces de tissus humains momifiés. La
momification dont cet individu a pu bénéficier n’est pas d’une
grande qualité, compte tenu de la désorganisation de son squelette
et son état de conservation actuel, probablement imputables aussi
à une ou à plusieurs violation(s) de la momie à une époque indéterminée
: une ouverture au niveau du haut du thorax, donnant un accès
direct sur les côtes, indique la recherche d’objets précieux ou
d’un
scarabée de cœur. Aucune amulette n’a pu être mise en évidence.
La dépose de baumes de momification au fond de la cuve ne permet
pas de sortir la momie du cercueil, Cet élément étant aggravé
par le tassement général de la momie sur la base du cercueil, la
momie ayant été exposée en position verticale pendant de
nombreuses années.
La tête est détachée du rachis. La mandibule (maxillaire inférieur)
ne montre pratiquement plus de structures cutanées ou musculaires.
Elle est recouverte de résidus de produits de momification, de
couleur noirâtre.
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La
bouche est vide, elle montre des dents bien conservées, sur les
deux mâchoires. Les lèvres ont disparu, cependant, des poils de
couleur brune, épais et raides sont visibles, au niveau du menton
et de la région correspondant à la lèvre supérieure.
Crâne et face sont de couleur noire uniforme, l’os apparaissant
par endroits et délimitant des zones plus claires. Le visage de la
momie, ayant été privé de la protection que lui fournissaient ses
bandelettes, a pris une coloration noirâtre, les tissus momifiés
étant mis brutalement en contact avec l’air. Le crâne ne montre
pas de cheveux, mais l’empreinte, laissée par le tissage des
bandelettes qui le recouvraient, est encore visible : cet individu
avait une calvitie et il se rasait les cheveux, ainsi que le voulait
l’exercice d’une fonction sacerdotale, en Égypte ancienne.
Les orbites sont comblées par des tampons de bourrage, noircis par
les produits utilisés lors de la momification. Les paupières ont
disparu, mais les sourcils sont encore visibles, constitués de
poils très fins et souples, de couleur brune. Il n’y a pas de
prothèses oculaires, au-dessus du matériel de bourrage comblant
les orbites.
Les fosses nasales apparaissent, une perte de substance les laissant
béantes, l’extrémité du nez ayant disparu. Il n’y a pas de
tampons de bourrage dans les narines.
Les oreilles ne sont pas apparentes.
Le cou a disparu.
La détérioration de l’enveloppement du corps permet de constater
que les membres supérieurs et inférieurs ont été bandelettés,
dans un premier temps, séparément du reste du corps. Les bras
gisent le long du corps.
Le matériel de couverture au niveau de l’abdomen est mieux
conservé l’emmaillotement est intact, ne laissant paraître
aucune ouverture.
Les membres inférieurs sont en extension, bien alignés, les pieds
reposant à angle droit contre la paroi du cercueil. Une faible épaisseur
de bandelettes les recouvre encore.
Les pieds sont intacts, mais non visibles sous une épaisseur
importante de bandelettes. Ils prennent fortement appui sur la paroi
du cercueil.
Des morceaux de résine durcie, de couleur brune, montrant un aspect
irrégulier et granuleux, et des lambeaux de bandelettes déchirées,
de couleur plus ou moins claire, selon leur contact avec les baumes
de momification, apparaissent sur le thorax et l’abdomen de la
momie. Des résidus de bandelettes, probablement brûlées lors du
versement de résine liquide sur la momie emmaillotée, forment, en
surface, une masse compacte et dure renforcée par endroits par les
plaques de résine. Un déroulement antérieur des couches
superficielles a probablement été réalisé, compte tenu du
mauvais état du tissu, des fragments de bandelettes détachés du
matériel de couverture, des morceaux de linceul ou de suaire
retrouvés en surface. Aucune sangle extérieure, renforçant
l’emmaillotement, n’est visible.
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L’IDENTIFICATION
DU DÉFUNT |
La
momie est celle d’un homme d’une quarantaine d’année, scribe
du Domaine d’Amon-Rê, à Karnak. Il vivait au début de la Troisième
Période intermédiaire (XXle dynastie), dans un contexte
socio-politique troublé, dans la région thébaine.
Deux noms différents ont été retrouvés sur les inscriptions hiéroglyphiques
du cercueil composite:
P3-n-rzs.t-t3.wy
(Paennesttaouy): “Celui (qui appartient à Celui) du Trône des
Deux Terres”, inscrit sur la face latérale droite de la cuve. Ce
nom a, aujourd’hui, disparu du cercueil, dont le stuc est très
endommagé. Ce personnage serait le commanditaire du cercueil.
Jw-f-n-Hsnw (louefenKhonsou): “Il appartient à Khonsou”,
inscrit sur la face latérale gauche de la cuve et sur la couverture
de momie. Ce personnage aurait usurpé le cercueil du personnage précédent.
Ce nom est celui qui a été attribué à la momie.
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LE
CERCUEIL |
Le
cercueil composite est constitué par trois pièces: la cuve, le
couvercle intérieur ou couverture de momie, correspondant
probablement au même cercueil d’origine et le couvercle extérieur
provenant d’un autre cercueil. Les dimensions du cercueil sont supérieures
à la taille de la momie: 1m90 de longueur pour 60 cm de largeur.
L’iconographie particulière et le fond de couleur jaune
dominante, servant de support à des textes hiéroglyphiques,
permettent de dater le cercueil à la XXIe dynastie
(1085-950 avant notre ère). Seules les faces externes des trois pièces
sont décorées et portent des inscriptions, les faces internes sont
en bois brut, non décoré, ni peint. Cet enduit est très endommagé
sur la face latérale droite de la cuve du cercueil, des scènes et
des textes ont totalement disparu. La couverture de momie est la
mieux conservée des trois pièces.
Le cercueil a été fabriqué à partir de diverses essences de bois
: du cèdre (cuve), du ficus (couverture de momie), du sycomore
(couvercle extérieur).
Pendant un siècle, la momie conservée au muséum d’Histoire
naturelle de Perpignan a connu la tranquillité. Depuis 1955, elle a
fait l’objet de quatre études, elle a même quitté la ville de
Perpignan, en 1999, pour le musée de l’Éphèbe d’Agde, dans le
cadre de l’exposition “Égypte. Vision d’Éternité”, mais
tout ceci fera l’objet d’un autre article!
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1.H.
Aragon, Notice historique sur le séjour d’Ibrahim Pacha à
Vernet-les-Bains, impr. Barrière et Cie, Perpignan, 1923, p. 36.
Annie Perraud. Janvier 2001
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