Portrait
d'Ibrahim Pacha. Publié dans la revue "Vernet Animation"
(N°2 de 1975)
Le
2 juillet 1798, Bonaparte et ses 54000 hommes débarquent sans aucune
difficulté en Égypte. Ce projet fut décidé par le Directoire et à
pour objet de combattre l’Angleterre, l’ennemi héréditaire de la
France, installé dans le pays d’Égypte et lui ravir par la même
occasion le commerce de l’Inde en recréant la liaison Méditerranée
Mer Rouge.
Si cette expédition de 38 mois sur les bords du Nil
est un fiasco militaire avec la perte de 13500 hommes, les conséquences
positives se manifesteront beaucoup plus tard en donnant une dimension
scientifique et artistique à cette expédition.
Après l’humiliante retraite de 1801, la France rétablit sa position
en Égypte en soutenant un ottoman originaire de Cavalla en Macédoine:
Mohamed Ali. En 1805, Mohamed Ali est officiellement nommé gouverneur
d’Égypte. Homme fort de la Vallée du Nil, il devient un ami de la
France.
Ibrahim Pacha
est né en 1789 à Cavalla. Il passait pour être le fils de Mohamed
Ali, mais d’autres prétendent qu’il n’était que son fils
adoptif. Ce qui est certain, c’est que le vice-roi d’Égypte a
toujours traité Ibrahim comme son fils.
L’Arabie fut le théâtre des premiers exploits militaires
d’Ibrahim. La prise de Derrayeg amena la soumission de tout le pays
qui fut saccagé et dévasté. Le 11 décembre 1819, Ibrahim fit une
entrée triomphale au Caire.
Au retour d’Ibrahim, Mohamed Ali voulu créer une armée régulière
exercée à l’Européenne, et il fit appel à des officiers français.
L’insurrection des grecs prit un caractère si alarmant que le sultan
appela à son aide le pacha d’Égypte. Mohamed Ali envoya Ibrahim en
Grèce en 1824 à la tête de forces importantes. Cette campagne ne fut
pas heureuse pour Ibrahim et suite à une capitulation honorable, il évacua
la Grèce le 16 septembre 1828. Partit dans le dernier convoi, Ibrahim
arriva au Caire le 10 octobre. Cette campagne lui valut de la part de
l’Europe philhellène, la qualification de Tigre Altère de Sang. Plus
tard, quelques écrivains épris des grandes qualités d’Ibrahim ont
cherché à réhabiliter sa conduite en Grèce et à le présenter comme
un vainqueur clément et généreux.
Un différend avec Abdallah, Pacha de Saint Jean d’Acre, refusant de
rendre les 6 000 fellahs qui avaient quitté l’Égypte fut un prétexte
pour Mohamed Ali d’envahir la Syrie. Ibrahim dut retarder l’expédition
à cause d’une épidémie de choléra qui ravagea son armée. Cinq
mille de ses soldats périrent du fléau. L’armée ne put partir que
le 2 novembre 1831. Elle s’empara aisément des villes de Gaza, Jaffa
et Haiffa. Ibrahim défait une coalition prés de Tripoli, puis reprend
le siège de Saint Jean d’Acre durant six mois. Le 27 mai 1832, il
attaque et s’empare de la ville, faisant prisonnier Abdallah. Damas,
la ville la plus importante de l’intérieur des terres se soumis à
Ibrahim.
La Porte Ottomane, gouvernement du sultan des turcs, voyant dans
l’occupation de la Syrie un acte flagrant de rébellion de la part du
vice-roi, avait prononcé sa déchéance et celle de son fils. Une armée
nombreuse fut envoyée contre Ibrahim.
C’était la première fois que deux armées orientales organisées
l’une et l’autre à l’Européenne se trouvaient en présence.
Les Turcs laissèrent sur le terrain 2000 morts et 3000 prisonniers.
Le 20 décembre 1832, une autre bataille défit si complètement l’armée
Turque, que l’empire Ottoman fut mis en cause. Les puissances de l’Europe
interviennent et le traité de Kutahieb signé le 14 mai 1833 sauva
l’empire ottoman de la ruine qui semblait éminente. Par ce traité,
la Divine Porte consentait à abandonner au vice-roi d’Égypte la
Syrie.
Gouverneur de la Syrie au nom de son père, Ibrahim organise le pays
avec habileté, tout en lui faisant sentir le poids d’une autorité
ferme jusqu’à l’oppression.
Une coalition militaire turque se produisit en 1838, elle rencontra
Ibrahim à Nezib le 24 juin 1839. Grâce aux habiles manœuvres d’Ibrahim
et de Soliman (officier français du nom de Selve, qui se convertit à
l’Islam en prenant le nom de Soliman Pacha) l’armée turque fut mise
en déroute et un immense butin resta au pouvoir des vainqueurs.
Ayant le désir de maintenir l’intégrité de l’empire Ottoman, les
grandes puissances de l’Europe se mêlèrent aussitôt à ce différend.
Beyrouth fut bombardé et dut être évacué par les Égyptiens. Ibrahim
accomplit sa retraite vers l’Égypte.
Depuis cette époque,
Ibrahim semble se retirer des affaires publiques et s’occupa surtout
d’encourager l’apiculture dans ses domaines. Il possédait à Héliopolis
(Égypte) de grandes propriétés où l’on vit les plus belles
plantations de l’Égypte. Il les fit couvrir de cotonniers et
d’oliviers. Il en fit planter à lui seul plus de 80.000, rangés symétriquement.
Dans les intervalles, il fit semer de l’orge, des fèves et du blé.
Vers 1844, Ibrahim ressent les premières atteintes de son mal auquel il
devait succomber.
Les médecins lui conseillent un voyage dans le midi de l’Europe. En
1845, Ibrahim arrive en Toscane, parait à Florence et se rend à Gènes,
puis à Toulon, à Vernet les Bains, à Toulouse, à Bordeaux et enfin
à Paris. Partout il est acclamé avec ferveur et dignement fêté.
Bals, festins et revues sont ses distractions.
En août 1846, il visite Alexandrie après avoir relâché à Cadix,
Lisbonne, Gibraltar et Malte. Son séjour en Europe la vue de la
civilisation occidentale ont encore agrandi ses idées politiques, ainsi
qu’il le prouve à son retour par des mesures de tolérances.
Le 9 novembre
1848, Ibrahim Pacha meurt au Caire, quelques mois avant son père.
LE
SÉJOUR D’IBRAHIM PACHA A VERNET LES BAINS.
Le 3 décembre
1845, le docteur Lallemand, médecin d’Ibrahim, arrivait à Perpignan,
venant de Marseille, pour annoncer l’arrivée éminente à
Port-Vendres du bateau à vapeur «le Nil» transportant
Ibrahim Pacha.
Le 5 décembre, Ibrahim arrivait à Port-Vendres et y resta deux jours,
pour se rendre le 6 à trois heures de l’après-midi à Perpignan.
Si à Port-Vendres la Marseillaise et la Prussienne furent jouées, à
Perpignan, une salve de 21 coups de canon fut tirée.
Accompagné de neuf personne de sa suite, dont Soliman (Selve), Ibrahim
dîna chez le général de Castellane qui dans ses mémoires fait le
portrait de son invité.
«Ibrahim
Pacha a des
yeux spirituels et vifs ; son visage est marqué de petite vérole, il
ne manque ni malice ni de finesse ;
il est petit, replet, le cou court, le visage long, la barbe est
blanche. Il marche difficilement à cause de son embonpoint ; il se
dandine beaucoup ; il est vêtu magnifiquement avec plusieurs décorations
en diamant ; il a, comme les personnes de sa suite une veste rouge
couverte de galons d’or, une longue ceinture de drap d’or."
Ibrahim
quittait Perpignan le 8 janvier pour se rendre à Vernet les Bains où
il arriva à 6 heures du soir. Une compagnie de 8e léger et
du 15e chasseur à cheval, destinés à faire le service auprès
de sa personne, lui rendirent les armes. Le conseil municipal et le curé
lui firent deux discours sous deux arcs de triomphe.
Le séjour d’Ibrahim à Vernet les Bains se passait agréablement, il
aimait passer en revue les compagnies militaires, sa table contenait
toujours une vingtaine de personnes. Ses soirées sont bien remplies,
les dames y sont admises, et peu s’en fait que le prince ne se croie
encore dans un harem oriental. Malgré les souffrances qu’a dû lui causer une douloureuse opération,
le prince n’a rien perdu de sa gaieté.
Vers la fin janvier, le prince quitta Vernet les Bains pour se rendre à
Pairs où l’on faisait de grands préparatifs pour le recevoir au
palais de l’Elysée-Bourbon. Le 8 février, il était de retour à
Vernet les Bains pour terminer sa convalescence dans de nombreuses fêtes
mises sur pied en son honneur.
Le célèbre docteur Lallemand attaché à la personne royale su saisir
une circonstance heureuse, la convalescence d’Ibrahim, pour promouvoir
l’efficacité des eaux minérales. Un prince étranger venu d’Orient,
soignant sa santé dans une station thermale française, quelle publicité ! La présence de ce prince à Vernet et de l’éminent praticien qui
l’accompagnait, donna à cette station une renommée qui n’a fait
qu’augmenter sans cesse depuis cette époque. Le docteur Lallemand,
par son prestige, son influence et son autorité mis en valeur les établissements
thermaux du Roussillon. Son œuvre fut considérée comme à la fois
«humanitaire, nationale et Roussillonnaise».
Le 25 avril 1846, Ibrahim Pacha était reçu au Palais de l’Élysée
par le ministre des Affaires Étrangères et divers officiers de la
maison du Roi.
Son altesse, occupait au 1er étage du palais les
appartements que l’Empereur Napoléon avait habités pendant les Cent
Jours.
En février 1847, Monsieur Companyo, Vice-président de la Société des
Pyrénées Orientales recevait la lettre de Monsieur Bonfort, intendant
de Son Altesse Ibrahim Pacha: cette lettre était datée du Caire.
«Le Caire, le 27 février 1847.
Monsieur Le Directeur,
J’ai
l’honneur de mettre sous les yeux de S.A. Ibrahim Pacha votre
respectable lettre du 6 décembre de l’année dernière. Le prince est
bien flatté de toutes les choses obligeantes qu’elle contient et des
souhaits que vous formez, Monsieur, pour le rétablissement de sa santé.
Elle a continué d’être parfaite depuis qu’il a quitté le département
qui la lui a si heureusement consolidée ; il conserve toujours les plus
agréables souvenirs de l’accueil cordial reçu en France, et des
aimables connaissances de la société de Perpignan...
Je viens aujourd’hui
vous prévenir que S.A. Ibrahim Pacha a destiné une momie pour le Muséum
d’Histoire Naturelle de Perpignan, et que je viens d’expédier la caisse au
Consul général de France, à Alexandrie, pour l’expédier par les
paquebots de l’état à Marseille. Veuillez la réclamer et l’offrir
au Musée au nom du Prince.
Veuillez....
Signé : BONFORT»
La ville de
Vernet les Bains a voulu conserver le passage de cet illustre
personnage. Un hôtel porta son nom, malheureusement celui-ci fut emporté
par les terribles inondations qui ravagèrent le Roussillon en 1940
En mai 1997, à
l’occasion de la Fête de la Belle Époque, retraçant
l’arrivée d’Ibrahim à Vernet les Bains, la municipalité a baptisé
une allée conduisant au Casino: «Allée Ibrahim Pacha».
La présence du
sarcophage conservé au Muséum de Perpignan est très liée à Ibrahim
Pacha, nous ne pouvions ignorer celui qui fut à l’origine de sa
donation.
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