Sân el-Hagar, la ville actuelle, voisine des ruines antiques, est située à environ 130 kilomètres au nord-est du Caire, dans la province de Sharqeyah. Le site est bordé par le bahr Saft qui correspond probablement à l’ancienne branche tanitique du Nil.
      
Le tell Sân dresse sa masse énorme et trapue au-dessus des terres environnantes. D’une longueur nord-sud de près de 3 km et d’une largeur approchant 1,5 km, il culmine à plus de 30 m, dominant ainsi les terres alluviales du Delta. Sa surface couvre près de 180 ha. Sa structure est constituée de niveaux anthropiques qui peuvent atteindre 25 m d’épaisseur, et reposent sur un substrat naturel formé de dunes de sable fossiles (turtlebacks, gezirah).
      
Tanis illustre bien les grandes variations qui ont affecté le nord-est du Delta depuis trois millénaires. Les buttes de sable originelles se sont trouvées intégrées, à la suite de modifications du régime des branches du Nil, à des terrains favorables au développement d’une cité née de conditions économiques, politiques et religieuses mal définies, mais fondées sur des rivalités internes à l’Égypte liées aux crises du Nouvel Empire finissant et aussi sur la pression croissante des pays du nord et de l’est dans les relations internationales. La ville se développa à partir de la fin de la XXème dynastie (vers 1100 av. JC). Sous la XXIème dynastie (1070 à 945 av. JC), elle devint la capitale d’une Égypte à nouveau livrée aux traditionnelles divisions entre le Nord et le Sud. Métropole religieuse et funéraire sous la XXIIème dynastie, elle conserva une indéniable importance jusqu’à la fin de l’époque ptolémaïque. Dans le cours de l’époque romaine, la subsidence d’une partie des régions côtières entraîna l’extension du lac Menzaleh, la progression des eaux salées et l’anéantissement de l’espace agricole. Tanis périclita. Les lieux prirent progressivement l’aspect que les découvreurs des XVIIIème et XIXème siècles ont enregistré dans leurs récits.
      

Historique des interventions sur le site
À la période des découvreurs : Sicard (1722), Jacotin, Dolomieu, Cordier (dans les années 1799-1800), succède celles des antiquaires : Hamilton (1801), Drovetti et Rifaud (1825). Entre 1860 et 1865, A. Mariette, entreprend les opérations de grande envergure. Son intervention est complétée briévement par celle de Fl. Petrie en 1884. En 1904, le Service des Antiquités fait transférer au musée du Caire, par Barsanti, les pièces majeures qui étaient conservées sur le site. De 1929 à 1940, la Mission de P. Montet travaille simultanément dans le grand temple et dans le temple dit d’« Anta » (Mout). A la veille de la seconde guerre mondiale, P. Montet découvre les tombes royales et leurs trésors. En 1965, la mission devient la Mission Française des Fouilles de Tanis sous l’égide du Ministère des Affaires Étrangères et de l’École Pratique des Hautes Études. J. Yoyotte la dirige de 1965 à 1985. Ph. Brissaud lui succède à la tête de la mission en 1985, et créa en 1988 la Société Française des Fouilles de Tanis. Suite au départ en retraite de Philippe Brissaud, le Ministère des affaires étrangères a décidé, sur l’avis de la Commission consultative des recherches archéologiques à l’étranger, à la fin de l’année 2013, d’en confier la responsabilité à François Leclère, ingénieur à l’EPHE.

Le site est très fragile et nécessite une préoccupation permanente :
- Du fait de sa taille et de son altitude élevée, l’érosion est violente (il pleut beaucoup dans le Delta) et chaque année des milliers d’informations archéologiques disparaissent naturellement.
- À cause de sa taille également, il représente une forme de verrou dans le développement très dynamique de la région, qui entraîne un grignotage des marges et le découpage de la surface par des pistes carrossables de plus en plus nombreuses.
- Le sous-sol, fortement salé, corrompt très rapidement les antiquités dégagées, du tesson à la colonne de granite, en passant par les structures de briques. Cette situation exige une action soutenue d’aménagements préventifs des secteurs, de protection et restauration des monuments, et de fouilles complémentaires.

      
Les fouilles de Pierre Montet (1929 - 1956) ont fait réapparaître de nombreux monuments et de remarquables objets. Malheureusement, le contexte archéologique a été totalement négligé. En ce qui concerne le terrain, plus de vingt années de fouilles sont donc pratiquement perdues. Malgré une apparence trompeuse de rabâchage, qui nuit considérablement à l’impact des résultats que nous obtenons, la reprise des anciens secteurs permet, sur la base de faibles coûts financiers et grâce à l’accès quasi simultané aux principaux étages stratigraphiques du site, une impressionnante explosion de l’information. Les tombes royales, symbole traditionnel la réussite archéologique pour le découvreur, fournissent un exemple très clair de cet enrichissement documentaire récent. Une fois vidées de leurs trésors, certes combien estimables, elles sont apparues comme un agrégat, à l’histoire confuse, de constructions misérables en comparaison de celles de la Vallée des Rois. Plusieurs années de fouilles dans le secteur, depuis 1985, ont permis de régler, en grande partie, les graves problèmes de ruissellement qui affectaient dangereusement les caveaux. Elles ont aussi permis d’inscrire ces bâtiments dans une dynamique historique où l’innovation apparaît partout : rupture d’avec le monde funéraire thébain ; évolution rapide des conceptions religieuses appliquées à l’organisation de l’espace urbain et cultuel ; intégration progressive du cimetière royal au temple d’Amon, initiant les pratiques qui auront cours durant le dernier millénaire ; interrogation sur la place des femmes dans la mort ; problème des relations de l’espace royal avec les tombes privées des grands dignitaires de la XXIème dynastie (détruites sous la XXIIème dynasties). Sur le plan architectural, enfin, les tombes apparaissent à la fin de leur histoire, comme le cœur de pierre d’un vaste aménagement construit en briques crues, d’une longueur de près de cent mètres. Longtemps, la recherche sur Tanis a été limitée presque exclusivement à la zone nord du tell. L’étude globale du site a permis un élargissement considérable des problématiques et fournit le cadre actuel de nos recherches, dont elle autorise l’insertion dans la trame de l’évolution générale du Proche-Orient antique. L’examen du terrain dans toute son étendue a été assurée par prospection au sol : topographie, surveys, sondages, prospections géophysiques (EDF/MTS), prise de vue aérienne, en particulier par cerf-volant. Le résultat a été la découverte de nombreux secteurs : le temple d’Amon d’Opé (1987), une nécropole populaire (1991), le temple d’Horus de Mesen (1990) ), un vaste noyau urbain (1992-1999). Des objets de qualité ont été découverts : statue d’Amenemhat, chef des chanteurs d’Amon d’Opé, statue de Ramsès II agenouillé. L’examen du terrain dans toute son épaisseur a permis de renouveler la vision chronologique du tell : mise en évidence des niveaux initiaux (fin XXème dynastie, début XXIème dynastie), antérieurs à la création de la métropole, jusqu’aux niveaux byzantins qui font apparaître la destruction des monuments pharaoniques comme une ressource non négligeable dans l’économie de la cité. Tanis apparaît désormais avoir été conçue comme une Thèbes du Nord, ville nouvelle développée au début de la Troisième Période Intermédiaire, suivant un schéma structurel proche de celui de Thèbes, sur le plan religieux, l’Amon de Tanis étant celui de Karnak, et sur le plan topographique, ensemble d’Amon et de Mout au nord, et d’Amon d’Opé au sud. Elle a toutefois connu le télescopage en un seul lieu, lié aux conditions géographiques locales, du domaine funéraire avec le domaine cultuel. Les perspectives de recherches offertes par le tell Sân el-Hagar sont considérables. Le lieu est évidemment irremplaçable pour l’étude de l’Égypte des XXIème et XXIIème dynasties. Mais il est aussi un exemple presque unique où peut être analysée, sur près d’un millénaire et demi, l’évolution structurelle d’une ville à partir d’un schéma initial typiquement pharaonique jusqu’à son extinction dans un contexte méditerranéen complètement transformé. Le programme en cours de la mission s’inscrit dans la ligne des résultats que nous avons recensés. L’analyse de l’occupation urbaine de Tanis connaît un développement fulgurant grâce à la prise de vue par cerf-volant. Le temple de l’Est offre, quant à lui, d’excellentes potentialités dans l’étude du développement urbain depuis les origines de la ville. Il permettra la restauration d’un exceptionnel ensemble monumental.
Ramsès en dieu Khonsou, à côté de sa "mère" Mout, sous forme de lionne.
      
Fouilles sur Tanis.
      
Fouilles sur Tanis.
     
Philippe Brissaud Directeur de la Mission des Fouilles de Tanis de 1985 à 2012.
Fouilles sur Tanis.
      
Fouilles sur Tanis.
      

L’exemple de la prise de vue par cerf-volant

Le temple de l’Est, découvert par A. Mariette, puis exploité par P. Montet représente un objet patrimonial important. Il est un secteur privilégié pour l’étude de certains caractères marquants de l’évolution urbaine d’une grande métropole égyptienne. Le réexamen de cette zone a débuté en 1998. La contribution de la technique de la prise de vue par cerf-volant à notre pratique documentaire sur le terrain est en passe de devenir indispensable. Il est évident que dans le cadre d’une opération aussi lourde que celle du temple de l’Est, avec restitution complète d’un paysage archéologique, et manipulations de fragments d’une dizaine de colonnes de granit, en vue de leur étude, de leur restauration et de leur anastylose, la communication entre les divers intervenants s’en trouve considérablement facilitée. La zone centrale du tell a été le lieu de nombreuses interventions archéologiques : fouilles du temple d’Horus de Mesen, et des structures d’habitat sous-jacentes, campagne d’une soixantaine de sondages pour tenter d’analyser l’espace urbain, examen d’une vaste nécropole populaire au sud-ouest de la zone. Nous avons pu établir qu’il existait des structures d’habitats gréco-romains superposées à d’autres, datables de la Troisième Période Intermédiaire.

 Ces opérations ne nous ont toutefois pas permis d’élaborer une vue un peu générale et ordonnée de l’occupation urbaine. À la surface du sol, le jeu combiné de l’humidité, des remontées salines et des agents de l’érosion dessinent d’innombrables tâches grises d’organisation confuse. Grâce au cerf-volant et à l’altitude qu’il autorise, sont apparues, avec une netteté saisissante, d’innombrables structures d’habitat, ou bien encore le segment méridional de l’enceinte du temple d’Horus de Mesen, que nous avions vainement cherché au sol. De nombreuses vues révèlent deux types d’organisation différents, l’un à caractère ordonné et orthogonal, l’autre avec une disposition générale d’aspects plus confus. Il pourrait être tentant d’y voir un mode architectural gréco-romain se différenciant d’un autre, plus autochtone et plus ancien. Toutefois des conclusions solides dans ce domaine attendent encore des bases plus précises.