La stèle d’Irtysen

La stèle d’Irtysen     La stèle d’Irtysen

C’est une stèle d’offrandes de calcaire de grande taille 1,17 m de haut sur 56 cm de large. Elle est bien datée car elle porte le protocole de Montouhotep Nebheteprê, roi de la XIe dynastie, soit le début du Moyen Empire.
On peut y voir le défunt et son épouse debout. Face à eux, une série de porteurs d’offrandes qui sont les fils et des membres de la famille: trois fils, une fille et son petit-fils. Au-dessus l'on trouve 15 lignes de texte hiéroglyphique; au-dessous, Irtysen et son épouse devant la table d’offrandes, selon un schéma connu dès la période protodynastique et que l’on retrouve à l’Ancien Empire, sur les stèles fausses-portes, les stèles d’offrandes et qui, plus tard, se trouve, encore, dans les chapelles. On remarquera la façon curieuse de noter les légendes; normalement elles sont orientées dans le même sens que les  personnages; or, pour ceux qui font face au couple, on garde la même orientation que pour le couple.
Son nom s’écrit, , il se lit Irtysen mais il y a eu de nombreuses lectures avec des interprétations différentes: Mertysen ou Iritisen.

Bibliographie:
- Une traduction de H. SOTTAS: Etude sur la stèle C14 du Louvre" RecTrav 26, 1914, p.153-165.
- Un article de Marcelle BAUD: "Le métier d'Irtysen" CdE XXV, O1/1938, p.21-34.
- Un article en anglais mais traduit en français d'A. BADAWI: "The Stela of Irtysen", CdE XXXVI, N°72, p.269-276.
- Une traduction partielle de S. DONADONI dans "L'art égyptien", La Pochothèque, Paris 1993, p.116.
- Une traduction partielle de Jérôme RIZZO.
La traduction de H. S0TTAS
«Son serviteur en titre et favori qui exécute tout ce qu’il approuve en tout temps, l’attaché au grand dieu, Mertisen. Proscenium [...] pour... le chef des artistes et peintre, Mertisen. (il) dit : Je connais le mystère des paroles divines, la conduite des actes de la liturgie. Toute cérémonie magique, je l’ai organisée sans que rien m’y échappe. D’ailleurs, je suis un artiste accompli dans son art, un homme distingué au plus haut point par sa science.
Je connais les formules de l’irrigation, les comptes des fournitures, des exemples de calcul, les prélèvements et livraisons en entrées et sorties, de telle manière que tout corps animé vient à sa place.
Je sais (exprimer) le port de la figure humaine, la démarche d’une femme, la stature de qui brandit le fer et l’attitude ramassée de qui est frappé; comment un oeil regarde l’autre; l’expression de crainte de l’homme surpris dans son sommeil; le port du bras de celui qui lance et la démarche courbée de celui qui court. Je sais faire des enjolivures de matières incrustables sans les brûler au feu et en même temps, non délavables à l’eau.
Il n’y a personne qui s’y distingue en dehors de moi-même et de mon propre fils, l’aîné. Quand le dieu a ordonné, il exécute et s’y montre habile. J’ai vu des produits de ses mains, dans l’emploi de directeur des travaux, en toute pierre précieuse, et depuis l’argent et l’or jusqu’à l’ivoire et l’ébène».  

La stèle d’Irtysen

M. BAUD, qui s'est intéressée à l’art égyptien, a analysé celle stèle en soulignant les particularités d’organisation et de mise en place.  
On a, souvent, remarqué et écrit que cette stèle est de mauvaise qualité pour l’écriture du texte: les oiseaux sont difficiles à reconnaître, les hiéroglyphes sont laids; il y a des erreurs; l’orthographe est mauvaise; certains mots sont écrits de façon étrange et il y a des hapax ([apaks], grec hapax legomenon, chose dite une seule fois. Linguistique. Mot ou expression qui n'apparaît q'une seule fois dans un corpus donné.) M. Baud remarque qu’il y a des qualités de mise en page notables; le texte est bien découpé:  
La 1er ligne concerne le protocole royal.  
La 2e ligne concerne les titres d’Irtysen et elle se termine par son nom.
Les lignes 4 et 5 concernent l’offrande alimentaire avec le proscynème, introduction de la formule d’offrande avec pr.t-xrw au début de la ligne 4.  
La ligne 6 voit le commencement du texte proprement dit concernant le métier d’lrtysen.  
Elle considère, aussi comme quelque chose de délibéré et non pas dû au hasard que, exactement au milieu de la ligne se trouve mentionné le métier avec un groupe de mots qui soulèvent des problèmes de traduction et dessous, le signe des bras qui a l’air de souligner le nom du métier.  

           
A partir de là, le texte précise le métier du sujet, rythmé par des mots d’introduction:
jw rx
=kw, «je connais».  
Les 3 dernières lignes sont consacrées aux «secrets d’Irtysen».  
Elle part du principe qu’il s’agit d’un personnage qui travaille autour du dessin et de la sculpture, qui n’est, peut-être pas, un lettré mais qui est, par contre, un technicien, un artisan, un artiste d’où un texte bien mis en place sur le plan formel. Il faut en effet noter que, en général, les phrases se terminent avec la fin des lignes.  
Elle le compare aux ouvriers qui travaillaient dans les cathédrales et qui étaient des artistes qui sculptaient quelque chose parfaitement même s'ils n’étaient pas des lettrés.  
C’est donc selon elle avec ce regard d’artiste qu’il faut considérer cette stèle plutôt que d’un point de vue littéraire.  
«Je savais malaxer (gâcher) les ciments, doser suivant les règles, creuser les fonds, introduire [la pâte] sans que cela dépasse ou creuse de façon que la matière [la chair] [reste ou] vienne à sa place.  
Je savais la marche d’une figure d’homme, le pas d’une [figure de] femme, les attitudes des personnages, la pose inclinée de l’ennemi vaincu; je savais qu’un oeil soit en regard de son modèle (ou de son pareil), exprimer la crainte sur la face d’un ennemi; je savais le port de bras de celui qui abat l’hippopotame, l’allure de celui qui court.  
Je savais faire des enjolivures (exactement de jolis objets) qui s’incrustent, qui ne sont pas fondues au feu, et qui ne sont pas délavables non plus à l’eau. Il n’y avait personne qui pût révéler cela à personne si ce n’est moi et mon fils aîné légitime. Le dieu ordonna qu’il le fît et il le révélât. J’ai vu le succès de ses mains dans son oeuvre comme chef de travaux en tout matériau précieux depuis l’argent et l’or jusqu’à l’ivoire et l’ébène».  
M.   Baud considère qu’Irtysen est un cimentier-émailliste; elle fait référence à une technique très particulière.

façade de mastaba    façade de mastaba    façade de mastaba

Au Musée du Caire, il y a une façade de mastaba avec des figures incrustées de ciment coloré; c’est fait selon la méthode du cloisonné. Les contours de chaque figure sont creusés autour et à l’intérieur, les différentes parties sont cloisonnées et remplies de pâtes colorées. Le dessus était lissé pour donner un aspect uni. On a de nombreux exemples de cette technique mais c’est assez mal conservé: la partie colorée a disparu et on ne voit plus que les trous et le quadrillage à l’intérieur des figures. Un fragment de monument fait selon celle technique est conservé au Louvre; il avait été présenté à l’exposition sur l’Ancien Empire. Cette technique est connue pour la fin de l’Ancien Empire; il est possible qu’Irtysen en soit spécialiste. Celle partie est traduite différemment par Badawi et Sottas. Jérôme Rizzo l’a interprété non pas comme une technique mais comme l’élaboration d’un canon des proportions de la figure.  

La stèle d’Irtysen     La stèle d’Irtysen

Les différentes traductions sont reprises par Badawi; les translittérations sont difficiles et différentes de la traduction. Il donne la traduction de M.Baud, une traduction en allemand et la sienne.  
A. BADAWI:  
"Je connais le secret de l’hiéroglyphe; conduire le rituel d’offrande; toute magie, je l’ai apprise: rien ne m’en a échappé. De plus, je suis un artisan excellent en son art, connu à cause de ce qu’il savait. Je connais les parts de bAgw; les pesées de règle; la saillie ou le retrait suivant qu’il sort ou rentre, de manière qu’un membre soit mis en place (littéralement: vienne à sa place). Je connais l’allée d’une figure d’homme (statue?), la venue d’une femme; les poses d’un instant (instantanées?); le recul du captif solitaire; le regard d’un œil vers l’autre; l’effroi sur la face des étrangers surveillés; la balance du bras de celui qui jette bas l’hippopotame; le pilonnement du coureur.  
Je sais comment préparer des objets passés au feu (émaillés?); des objets jetés (au moule), sans que le feu ne les brûle ou qu’ils soient délavés par l’eau; Ce ne fut révélé à personne, excepté à moi seul et à mon propre fils aîné, (car) le dieu avait commandé qu’il lui fasse une révélation concernant cela. Je vis les produits de ses deux mains tandis qu’il travaillait comme directeur des travaux en tout matériau précieux, depuis l’argent et l’or jusqu’à l’ivoire et l’ébène".

La stèle d’Irtysen     La stèle d’Irtysen

S. D0NADONI:  
«Je suis quelqu’un qui connaît l’allure d’une statue d’homme, la pose d’une statue de femme, [...], l’attitude du coup donné au prisonnier, le regard qui plonge dans les yeux de l’autre, l’expression d’épouvante («l’air atterré») du visage de celui qui doit être sacrifié, le balancement du bras de celui qui tue l’hippopotame, le pas de celui qui court [...]. Cela ne s’est manifesté à personne d’autre qu’à moi et au fils aîné de mon sang [...]. J’ai vu ce qui sortait de ses mains lorsqu’il travaillait chaque pierre précieuse, en commençant par l’argent et par l’or pour finir par l’ivoire et l’ébène».  

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J. RIZZO:
«Je connais le secret des hiéroglyphes et la composition des rituels de cérémonies. L’ensemble des formules magiques, j’en ai acquis la maîtrise et rien ne s’y trouve qui me dépasse. Je suis, de plus, un artisan qui excelle dans son art, je sais estimer les dimensions, retrancher et ajouter jusqu’à ce qu’un corps prenne sa place; je connais l’allure d’une statue d’un homme et la démarche de la statue d’une femme, l’attitude des onze oiseaux, la convulsion du prisonnier isolé, le faire loucher, l’expression de la peur sur le visage des ennemis du Sud, le mouvement du bras de celui qui chasse l’hippopotame et le mouvement des jambes de celui qui court; je sais faire des pigments et des produits qui fondent sans que le feu les brûle, et de plus, insolubles à l’eau; je ne révélerai cela à personne, excepté moi seul et à mon fils aîné, le dieu ayant ordonné qu’il exerce en initié car, j’ai remarqué sa compétence à être chef des travaux dans toutes les matières précieuses, depuis l’argent et l’or jusqu’à l’ivoire et l’ébène».

La stèle d’Irtysen

Les techniques   
Le titre                
sS msntj gnwtj / qstj : le scribe sculpteur
Ce mot a été interprété de différentes façons: Badawi translittère sS msntj
Certains y ont lu le mot od, car c'est une séquence connue: "scribe des contours", "dessinateur".
Ce mot se lit gnwtj ou ostj; il a été discuté par Montet dans son livre, Scènes de la vie privée dans les tombeaux de Ancien Empire. Il existe toujours sous la forme d’un duel et est écrit, parfois, avec ; il se traduit par «sculpteur».
En Égypte, il y a plusieurs sortes de sculptures: la ronde-bosse, le bas-relief, le relief dans le creux. On ne sait pas si c’était les mêmes artistes qui travaillaient les différentes techniques.
jnk grt Hmw jqr m Hm.t=f pr=f Hr-tp m rxwt~n=f
Car je suis un véritable artiste accompli en son art qui se distinguait par ce qu’il avait appris.
Hm.t est le savoir-faire, la technique, l’art.
Dans l’Égypte ancienne, on ne distingue par artisan et artiste; il est celui qui maîtrise une technique et doit la porter à la perfection; c’est la recherche de Maât, de l’harmonie. On insiste sur l’apprentissage avec rxwt~n=f plutôt que sur le résultat avec rx=kw.
Il ressort de cette phrase une fierté de l’artisan qui sait maîtriser ce qu’il doit faire: c’est essentiel dans ce document. Il est fier de son savoir, de ses capacités techniques et il a le sens de la valeur de ce qu’il fait.
Du point de vue technique, on ne comprend pas ce qu’il fait exactement car il y a de nombreux termes qui nous échappent. Il y a plusieurs pistes: la sculpture; le bas-relief, car il évoque des choses concrètes figurées sur les bas-reliefs égyptiens.
La notion de secret
Il y a tout au long de la stèle, une notion de connaissance, à la fois un savoir, une technique, et une connaissance particulière: les hiéroglyphes, tout le monde ne les connaissait pas. Certains scribes spécialisés en hiératique ne savaient pas lire les hiéroglyphes. Nous ne savons pas comment se faisait la mise en page d’un texte ; on suppose que des prêtres décidaient de la place d’un texte dans une tombe royale, dans un temple. Parmi les artisans, certains qui avaient la connaissance des hiéroglyphes et étaient capables de lire les textes devaient les mettre en place. On sait que pour les textes pariétaux, il y avait une version en hiératique sur papyrus qui devait être transposée en hiéroglyphes par l’artiste pour la mise en place.
jw rx=kw sStA n(y) mdw-nTr sSm.t n(y).t Hby.t HkA nb apr~n(=j) sw nn swA=t(w) jm Hr=j
Je connais le secret des hiéroglyphes, la conduite des liturgies; la magie, je m’en suis doté sans que rien me dépasse.
Ce passage montre que cette connaissance n’est pas donnée à tout le monde. «Secret» ne veut pas dire que c’était caché mais réservé. Le prêtre Xr(y)-Hb est celui qui porte le livre où sont écrits les liturgies ou les rituels. Cela oriente vers une fonction particulière du personnage qui vient en opposition avec le manque de soin de l’écriture.
Le document insiste aussi sur la transmission du savoir: elle est réservée au fils aîné, qui manifeste certaines compétences. Il a transmis tout cela à son fils. De même, à Deir el Medineh, ce sont les fils qui deviennent artisans de leur père; il y a une transmission du savoir des pères aux fils.

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